Vers une bi-radicalisation de la vie politique ?
Dernière mise à jour le Jeudi 20 février 2014 06:26 Écrit par Vincent Weber Samedi 9 juin 2012 08:28

Front National, Front de Gauche ou Front Républicain ?
La 11ème circonscription du Pas-de-Calais voit, pour les élections législatives, s’affronter les leaders charismatiques des deux expressions opposées de la radicalité en France, Marine le Pen pour le Front National et Jean-Luc Mélanchon pour le Front de Gauche.
Au-delà de la politique spectacle et du match de catch « Front contre Front » commenté avec gourmandise à Hénin-Beamont, cette situation est peut-être annonciatrice de la recomposition politique à venir. A cet égard, le sondage réalisé par Ifop pour Fiducial/Le Journal du Dimanche du 15 au 17 mai 2012 est riche d’enseignements.
On note tout d’abord qu’à gauche comme à droite, la radicalité écrase la modération: ainsi, au premier tour, Philippe Kémel, candidat du Parti Socialiste, avec 18% des suffrages, se ferait très largement dépasser par Jean-Luc Mélanchon (29%); de même, Jean Urbaniak, candidat du MoDem, soutenu par l’UMP, avec 16% des suffrages, se verrait encore plus largement préférer Marine Le Pen (34%).
Le second tour, si les chiffres du sondage venait à se confirmer dans les urnes, est encore plus éclairant. En cas de triangulaire Front de Gauche/Modem-UMP/FN, seuls 20% des électeurs choisiraient de voter pour le candidat du centre et de la droite dite républicaine, contre 44% pour Jean-Luc Mélanchon et 36% pour Marine le Pen; c’est dire si le concept de « Front Républicain » a vécu, face à ses concurrents frontistes radicaux…
Les scénarios de duels PS-FN et Front de Gauche-FN, sont quasiment identiques,avec un petit point seulement en faveur du scénario PS (56% contre 55% dans le cas où Jean-Luc Mélanchon serait le candidat de gauche, Marine le Pen obtenant respectivement 44% et 45% des suffrages). Autrement dit, le Front de Gauche ne fait pas plus peur aux électeurs qu’un candidat socialiste; de même que voter Marine Le Pen, qui obtient un chiffre pas si éloigné de la moitié des suffrages, n’est absolument pas rédhibitoire pour des électeurs de droite. Les Fronts sont banalisés…
La situation très particulière du Nord de la France, avec son exaspération longuement subie des turpitudes des partis de gouvernement locaux, sa désindustrialisation continue et son désespoir, suffit-elle à interdire toute généralisation ? Rien n’est moins sûr.
A l’échelle du pays, Jean-Luc Mélanchon a su, par son charisme et des accents révolutionnaires et robespierristes qui n’avaient pas été entendus depuis longtemps, redonné sa fierté à une gauche décomplexée; de son côté, Marine le Pen, en rompant, au moins en apparence, avec l’héritage pétainiste de son père, a permis à une nouvelle génération d’affirmer haut et fort et sans honte sa fibre nationaliste. Tous deux ne cachent pas leurs ambitions d’affaiblir, voire de faire imploser, respectivement le Parti Socialiste et l’UMP et de les supplanter.
Il appartient maintenant aux deux grands partis de gouvernement, qui conservent encore les clés malgré un début d’affaiblissement, de décider s’ils veulent ou non se faire déborder et livrer le pays aux solutions extrêmes, dont on sait bien qu’elles engendrent le désastre après le rêve.
A droite, l’UMP commence, avec la guerre des chefs déjà déclarée, à faire son introspection idéologique, et donc à se demander sérieusement s’il y a eu trop ou pas assez de Buisson – du nom du conseiller plus ou moins occulte de Nicolas Sarkozy, Patrick Busson, qui pendant 5 ans n’a eu cesse de l’engager à se servir dans le programme du Front National afin de le siphonner.
Il y a d’une part la Droite Populaire, le courant soutient de Buisson, qui dément être une passerelle avec le Front National pour se définir au contraire comme une digue; ce courant argumente que sans les idées buissonnières, Marine le Pen aurait été au deuxième tour, ou qu’en tout cas la défaite de Nicolas Sarkozy aurait été bien plus large.
Il y a d’autre les Gaullistes, les Juppé, les Fillon, les Raffarin, ceux qui ont été choqués dans leurs valeurs par la stratégie buissonnière et qui n’ont pas encore eu, solidarité électorale oblige, l’occasion, ou le courage, de le dire haut et fort.
Et puis enfin, il y a Jean-François Copé, « chef de guerre » autoproclamé de l’opposition frontale à François Hollande, qui défend la stratégie buissonnière, tout en refusant toute alliance avec le Front National. Cette stratégie pourra, le 17 juin, s’avérer meurtrière pour la droite, en cas d’un nombre important de triangulaires. Les pressions locales sont ainsi très fortes pour dire que, quitte à se salir les mains, autant se rouler dans la fange, afin de ne pas perdre sur les deux tableaux – celui des valeurs et celui de la réussite. Pour certains candidats UMP, puisque Marine le Pen a « dépétainisé » le Front National et que le Parti Socialiste n’a pas de complexe à discuter avec le Front de Gauche, quelle est la logique perdante qui voudrait que l’on partage beaucoup de choses avec le Front National tout en continuant à le diaboliser ? Pour ces candidats, Gérard Longuet, qui suscité un tollé en préconisant de telles alliances, n’a été coupable que d’avoir parlé un peu trop tôt.
La réponse à cette équation difficile pour la droite se trouve peut-être… dans l’observation de la gauche: François Hollande n’a-t-il pas été élu, au moins partiellement, pour n’avoir pas dévié de son programme, pour ne pas avoir fait de concession programmatique au Front de Gauche, malgré un certain nombre de valeurs communes ? Aujourd’hui le Parti Socialiste est suffisamment fort pour se passer d’accord électoral avec le Front de Gauche. Cette situation changera peut-être à l’avenir, mais pour l’instant, une prime a été donnée a celui qui a su « rester droit dans ses bottes », pour paraphraser un gaulliste, et qui a implicitement promis de gouverner la France au Centre, ce qu’elle affectionne tant sans le dire. Et si,symétriquement, l’avenir à droite passait par un retour ferme aux valeur de gaullisme social qui prévalaient avant 2007 ?
L’ancien premier ministre François Fillon n’avait pas hésité, durant la campagne présidentielle, à déclarer qu’à force de faire la « course à l’échalote » avec le Front National, on ne faisait que « donner aux électeurs un « passeport pour voter FN », rappelant ainsi une des rares déclarations consensuelles de Jean-Marie le Pen, selon lesquelles « Les Français préféreront toujours l’original à la copie ». A cause de l’unité de façade exigée par les élections législatives, ces débats ont été temporairement mis en sommeil. Gageons qu’après le 17 juin, ils vont être fortement remis au goût de jour. C’est l’un des deux paramètres du basculement ou non de la France de la bipolarisation a la « biradicalisation ». L’autre étant bien sûr, la capacité ou non de François Hollande a restaurer l’espoir en France. Il bien évidemment beaucoup trop tôt pour se prononcer sur ce dernier point.
Une autre hypothèse, plus audacieuse, serait un changement complète de paradigme et une redistribution complète des cartes politiques – par exemple si le clivage gauche/droite traditionnel cédait la place à un affrontement entre écologistes et productivistes…
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