L’exception « schistuelle » française
Dernière mise à jour le Mercredi 19 février 2014 07:18 Écrit par Pierre Jourdan Mardi 15 octobre 2013 10:58

La France est le seul pays avec la Bulgarie à avoir interdit l’exploitation des gaz de schiste. La loi interdisant la fracturation hydraulique a été confirmée par le Conseil constitutionnel. Cependant, à l’échelle du territoire français, de nombreux permis d’exploration du gaz de schiste – au total 61 – n’ont pas encore été abrogés.
La France a de tout temps été une pionnière pour la qualité de sa législation et des textes juridiques que ses auteurs ont pu produire. Par exemple, en février 2005, le Parlement avait donné valeur constitutionnelle à la Charte de l’environnement qui devait sauvegarder le territoire français des atteintes portées à l’environnement. La charte avait mis en exergue le principe de précaution qui rappelle que « Lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine, en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d’attributions, à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage » (article 5 de la charte).
Les résistances des lobbies industriels sont pourtant très fortes. Avant l’éviction de Nicolas Sarkozy du pouvoir présidentiel, l’interdiction du gaz de schiste en France avait été mise au goût du jour par loi du 13 juillet 2011, dite « loi Jacob ». Cette loi devait adopter le principe de précaution à l’égard d’une ressource géologique aussi inutile que dangereuse si on l’exploite. Cette loi incrimine les méthodes de forage appliquées, notamment la technique de la fracturation hydraulique, qui est hautement nocive pour les populations et les milieux naturels : les produits injectés pour fracturer la roche-mère polluent les nappes phréatiques et ces produits qui se mêlent à l’eau des nappes posent de graves questions de santé publique pour les populations environnantes lorsqu’elles consomment l’eau des sources.
Malgré la loi et malgré les dommages constatés, 61 permis d’exploration ont d’ores et déjà été délivrés, notamment pour les départements du sud-est de la France et du bassin parisien. Il est donc à craindre que ces permis, et les travaux qu’ils vont entraîner, causent des dommages irréversibles à l’environnement et portent préjudice aux habitants.
Le 26 juin 2013, peu avant les vacances parlementaires, le rapporteur public du Conseil d’Etat avait recommandé le renvoi devant le conseil constitutionnel de la loi Jacob, faisant suite à la question prioritaire de constitutionnalité (CPQ) déposée par la société texane Shuepbach et ses experts géologues. Le rapporteur a estimé que la constitutionnalité de la loi devait faire l’objet d’une décision du Conseil constitutionnel. En cas de censure partielle ou totale par le Conseil constitutionnel, le gouvernement a d’ores et déjà fait savoir qu’il était prêt à déposer un texte empêchant l’exploitation du gaz et du pétrole de schiste en France en raison de leur impact environnemental. Le 11 octobre, le Conseil constitutionnel a confirmé la loi Jacob et l’exception culturelle française en matière d’exploitation de gaz de schiste.
Certains voyageurs parlementaires officiels ont quelque chose d’inquiétant : Après les Etats-Unis, les deux parlementaires Bataille et Lenoir ont visité la Pologne où ils y ont rencontré les mêmes personnes, à savoir des géologues, des industriels, des opérateurs et des responsables politiques. Devant un parterre acquis, au sujet de la loi Jacob, ils ont affirmé que la décision avait été prise sans réflexion. « Nous espérons bien remettre en question cette loi pour que la France soit en capacité d’exploiter ses ressources si elle en a », a dit Christian Bataille. Et pour ne pas être en reste, Jean Lenoir a ajouté. « La position de la France n’est pas tenable. Il n’est pas possible d’être seuls dans le monde avec la Bulgarie à fermer la porte à toute forme d’exploitation du gaz de schiste ».
Ce triomphalisme affiché à l’extérieur des frontières de l’Hexagone est pourtant largement sujet à caution : sur le plan financier, la bulle gazière constitue une véritable bombe à retardement, une bulle spéculative économiquement explosive. « L’économie de la fracturation est une économie destructrice » avertit le journaliste Wolf Richter dans le magasine Business insider. Il faut savoir en effet que le rendement d’un puits de gaz de schiste décroche de 60 à 90% au terme de sa première année d’exploitation. Escompter une énergie bon marché contre une pollution prolongée est donc un très mauvais pari. Faute d’alternatives énergétiques durables, ce choix désastreux ne fait qu’augmenter le danger
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