Benoît Thévard, le messager de la résilience
Dernière mise à jour le Dimanche 15 juin 2014 02:08 Écrit par Christelle de Crémiers Dimanche 15 juin 2014 02:04

L’avenir sera sans pétrole. Non pas à cause de la finitude des ressources, par ailleurs réelle, mais bien avant, à cause de ce que l’on appelle le pic pétrolier, c’est à dire notre incapacité à soutenir une production pétrolière suffisante pour répondre à une demande croissante. Après ce choc, Benoît Thévard apporte un espoir: nos territoires pourraient viser une amélioration de leur résilience, c’est à dire faire évoluer la société vers des structures à la fois plus résistantes et plus adaptables aux changements imminents qui s’annoncent.
Ancien technicien dans l’industrie aéronautique, comment en êtes-vous arrivé à prôner, entre autres, la plus grande modération pour les voyages aériens ?
J’étais passionné d’aviation. Dès l’âge de 17 ans, j’ai débarqué à Toulouse chez Airbus pour être formé. Le jour, je faisais mon travail de responsable technique, le soir je participais aux actions des associations de défense de l’environnement locales. J’avais toujours eu une sensibilité environnementale. J’imaginais à l’époque ma passion pour l’aviation et ma sensibilité environnementale tranquillement compatibles. J’ai même monté un beau projet pour réutiliser l’huile de friture dans les moteurs des voitures.
J’ai suivi les cours pour devenir Ingénieur des Mines d’abord en travaillant à plein temps, puis en prenant un an de congés pour formation. Cette formation m’a permis d’apprendre à décortiquer les documents techniques, notamment sur l’énergie, ce qui m’ été très utile par la suite. Cette année de césure m’a aussi permis d’acter la contradiction que j’éprouvais confusément pendant mes années Airbus entre la conscience de la finitude des ressources et une activité industrielle totalement dépendante du pétrole, dictée par la logique concurrentielle mondiale de construire et vendre toujours plus d’avions.
Mais il a fallu attendre une video de Pierre Rabhi pour que le choc intellectuel se produise. Je prends donc la décision de partir au Québec dans le cadre d’un congés sans solde de quatre mois, pour travailler au sein d’un éco-village. C’est là-bas que Patrick Déry, expert en énergie, agriculteur et professeur, m’initie à la résilience des territoires. Je découvre avec bonheur que la démarche scientifique ne s’applique pas seulement à la production industrielle, mais aussi à la transition écologique. Que le triple constat du pic pétrolier, de la crise climatique et de la crise économique trouve sa solution à l’échelle familiale, locale et collective avec les villes et villages en transition. Il était possible en fait de consacrer une démarche rationnelle pour anticiper au mieux le choc imminent causé par la finitude des ressources et le dérèglement des écosystèmes provoqué par l’activité humaine.
Comment décririez-vous votre engagement ?
Le combat du pot de terre contre le pot de fer est fatigant et souvent décevant pour les militants de la première heure. Rares sont les victoires des militants face aux géants mondiaux comme Areva, Total, Monsanto… Il faut admettre que les multinationales, en dépit de décennies de luttes militantes écologistes, n’ont jamais été aussi puissantes qu’aujourd’hui. Avec la transition, on n’oublie pas la nécessité de la lutte, mais nous nous concentrons sur ce que nous voulons : accéder à un mode de vie durable, en harmonie avec notre environnement. C’est une démarche plus apaisante que celle de subir et alimenter le système consumériste dans sa vie de tous les jours, tout en luttant contre des intérêts privés sans lesquels on ne pourrait pas fonctionner.
C’est pourquoi j’ai adapté le plus possible mon mode de vie pour plus de sobriété, plus d’équilibre entre mes besoins et mon empreinte écologique. Nous avons contribué au lancement de la transition dans la ville où j’habite.
La conscience de l’imminence des bouleversements à venir structure mon engagement. Nous n’aurons pas le temps de transformer la société avant que les changements surviennent. Je pense qu’il faut se préparer au choc et savoir réagir. Je me consacre donc à informer et former le public. Le pouvoir politique à l’évidence, ne joue pas son rôle dans la préparation de la population à la pénurie.
D’ailleurs, je trouve insuffisant de partager avec le public ce que devrait être la politique économique de la France ou de l’UE. Cela n’apporte qu’un sentiment d’impuissance et finalement un repli sur soi, face au décalage qui existe entre l’action du gouvernement, les enjeux de pouvoir et d’influence entre l’industrie financière, les grands groupes et les ministères, et le mode de vie auquel on doit se préparer. Au contraire, il faut faire prendre conscience aux citoyens de tout ce qu’ils peuvent faire à leur niveau, et leur dire que c’est vraiment utile en plus. Les marges de manœuvre au niveau local sont en fait beaucoup plus grandes qu’au niveau national ou mondial.
Vous proposez donc une nouvelle forme de militantisme ?
La question du nombre de personnes qui entrent en transition est récurrente au cours de mes conférences.
Il me semble qu’un dixième seulement de la population suffirait pour amorcer, par mimétisme et désir de retrouver du sens, la diffusion des pratiques à plus grande échelle.
Mais pour atteindre ces 10-15 % de la population, il faut surmonter deux écueils : la méconnaissance et l’ignorance.
La méconnaissance de la finitude des ressources est encore très répandue. Elle s’accompagne parfois de l’idée de complot : les prix de l’essence augmenteraient pour permettre à certains de s’enrichir plus vite. La connaissance des tensions dans l’industrie du pétrole n’est pas partagée. Obtenir de l’énergie est de plus en plus coûteux en énergie. Le pic du pétrole est derrière nous et la demande ne cesse de croître. Et ce ne sont ni les galettes d’hydrogène, ni les algues qui vont permettre d’y répondre, malgré les reportages lénifiants à l’heure de plus grande écoute qui affirment que l’on a trouvé la solution magique pour une utilisation illimitée de l’énergie. L’extraction de certaines énergies demande parfois plus d’énergie que celle produite. Le problème de cette méconnaissance, c’est qu’elle laisse la population sans préparation. Une population à qui l’on a menti sur les prix qui vont baisser et la croissance qui va revenir, est une population qui ne saura pas réagir face à la pénurie et qui risque de se révolter.
L’ignorance des méthodes et techniques pour s’en sortir et permettre la résilience des territoires est encore plus répandue. Je cite souvent ces communes qui ont décidé d’entre en transition, de (re)trouver l’autonomie alimentaire, financière et énergétique.
Malheureusement, les grands groupes aussi forment et informent. Ils entretiennent l’illusion de la croissance, lancent des campagnes sur l’innocuité des OGM et des déchets nucléaires. Ils ont des moyens contre lesquels il est impossible de rivaliser. Ils contractualisent avec des noms prestigieux du monde académique pour crédibiliser le message. L’arsenal législatif aussi est un frein. Il est, par exemple, interdit à une commune de passer en régie pour la production et la distribution de l’énergie.
La réponse à ces freins est la même : s’autonomiser au niveau familial et local pour permettre à notre territoire d’améliorer sa résilience. Nous avons toutes et tous le changement à portée de main.
Blog Benoît Thévard : L’avenir sans pétrole
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triple constat du pic pétrolier, de la crise climatique et de la crise économique :
Cauchemarder sur l ‘énergie pour la génération qui suit pendant que le politicien évoque l’énergie comme un rêve érotique….